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Et si votre mémoire n'était pas aussi fiable que vous le pensez ?

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En bref

Et si cette fragilité naturelle de la mémoire, loin d'être un défaut, pouvait être utilisée comme une porte d'entrée vers le changement thérapeutique ?

Auteure:
Leslie Taverney
Temps de lecture:
6 min
Publié le:
April 16, 2025
Dernière mise à jour:
April 16, 2025
Article

L'hypnose clinique : au-delà des mythes

Vous hésitez à consulter en hypnose, craignant que l'on puisse manipuler ou altérer vos souvenirs ? Cette inquiétude est compréhensible — notre mémoire est profondément liée à notre identité. Mais ce que les sciences cognitives et les neurosciences nous montrent aujourd'hui, c'est que notre mémoire est naturellement malléable, même en dehors de tout contexte thérapeutique. En fait, elle fonctionne moins comme une vidéo que comme un processus de reconstruction, continuellement influencé par notre état émotionnel, notre attention, et nos attentes.

L'hypnose clinique moderne se définit comme un état caractérisé par une attention focalisée et une suggestibilité accrue, tout en maintenant un contrôle volontaire. Elle s'éloigne considérablement des représentations populaires de "contrôle mental" pour s'ancrer dans une pratique thérapeutique rigoureuse.

L'expérience du panneau Stop : la mémoire sous influence

Dans les années 1970, la psychologue Elizabeth Loftus a mené une expérience désormais célèbre. Des participants voyaient une voiture s'arrêter à un panneau STOP, puis provoquer un accident. Ensuite, on leur posait une série de questions, dont une biaisée  :

Avez-vous vu la voiture s'arrêter au panneau CÉDEZ LE PASSAGE avant l'accident?

Puis on a demandé aux participants du groupe test et du groupe contrôle de raconter la série d'événements dont ils avaient été témoins. Résultat ? Nombreux sont ceux qui ont "modifié" leur souvenir, convaincus d'avoir vu un panneau différent de celui initialement montré. Ce phénomène, nommé effet de désinformation, montre à quel point nos souvenirs peuvent être contaminés par des informations postérieures à l'événement.

Cette malléabilité s'explique par le fonctionnement même de notre mémoire : chaque rappel est en réalité une reconstruction active impliquant l'hippocampe pour l'assemblage des éléments du souvenir et le cortex préfrontal pour leur contextualisation. Cette reconstruction est influencée par notre état émotionnel actuel, lui-même modulé par l'amygdale et d'autres structures du système limbique.

Ce que cela nous dit sur l'hypnose

La malléabilité de la mémoire est un fait établi — mais cela ne signifie pas que l'hypnose clinique pratiquée éthiquement a pour objectif de manipuler la mémoire. Elle peut plutôt influencer la façon dont les souvenirs sont perçus et intégrés. Ce qui fait la différence, c'est l'intention du praticien, la manière dont la suggestion est formulée, et le contexte thérapeutique.

Les recherches en neurosciences montrent que l'hypnose fonctionne comme un état qui favorise l'accès à certaines fonctions cérébrales, tout en mettant temporairement entre parenthèses d'autres. Par exemple, l'hypnose induit une augmentation de la connectivité fonctionnelle entre le cortex cingulaire antérieur, l'insula et d'autres régions impliquées dans l'intégration émotionnelle et la régulation de l'attention.

Plus spécifiquement, on observe :

- Une modulation de l'activité du cortex cingulaire antérieur, impliqué dans la gestion des émotions et de l'attention
- Des modifications de l'activité de l'insula, région clé pour l'intéroception et la conscience corporelle
- Une reconfiguration temporaire de la connectivité entre le réseau du mode par défaut et le réseau de saillance, permettant une intégration différente des expériences

Ces changements neurobiologiques peuvent modifier notre manière de ressentir un souvenir, sans nécessairement en altérer les faits fondamentaux. L'hippocampe et l'amygdale jouent également un rôle crucial dans ce processus, permettant respectivement la reconsolidation de la mémoire et la modification de sa charge émotionnelle.

Post-hypnotic amnesia : mémoire inhibée, pas détruite

Des expériences ont montré que l'on peut suggérer à une personne sous hypnose d'oublier temporairement une information. Pourtant, cette amnésie post-hypnotique n'efface pas réellement le souvenir : il reste présent dans les circuits cérébraux et peut être réactivé. Il s'agit d'un processus inhibiteur, et non destructeur.

Cette inhibition temporaire implique principalement :

- Une suppression active (différente de la répression inconsciente) de certains contenus mnésiques
- Une modulation de l'activité du cortex préfrontal, qui régule l'accès conscient aux souvenirs
- Un maintien de l'encodage neuronal, même si l'accès conscient est temporairement bloqué

En permettant au patient de traiter progressivement l'information traumatique sans être submergé par sa charge émotionnelle, l'hypnose facilite la reconsolidation adaptative des souvenirs.

La question des faux souvenirs en thérapie

Les protocoles actuels en hypnose clinique prennent en compte ces risques en :

- Évitant les questions directives ou suggestives
- Maintenant une posture de neutralité bienveillante
- Distinguant clairement entre "travail sur la perception subjective" et "recherche de vérité factuelle"
- Utilisant des techniques de questionnement ouvert
- Documentant soigneusement les sessions pour éviter toute interprétation rétrospective biaisée

Ces précautions éthiques sont essentielles pour une pratique responsable de l'hypnose thérapeutique.

Mémoire, suggestion et éthique

La suggestion hypnotique est un outil puissant, mais comme tout outil, elle doit être maniée avec rigueur. Un bon praticien en hypnose clinique est formé à l'éthique de la suggestion, conscient des mécanismes cognitifs et émotionnels impliqués. Loin des clichés, l'hypnose thérapeutique s'appuie aujourd'hui sur des bases neuroscientifiques solides, notamment les modèles de dissociation contrôlée, qui expliquent comment certaines régions du cerveau se désengagent temporairement pour faciliter des reconfigurations internes.

Ces modèles, développés notamment par David Oakley et Peter Halligan, permettent de comprendre comment l'attention sélective en hypnose module l'activité de différents réseaux cérébraux pour créer un espace thérapeutique propice au changement.

En conclusion

Vous pouvez vous rassurer : l'hypnose ne « pirate » pas votre mémoire. Au contraire, elle vous permet d'explorer vos souvenirs avec plus de profondeur, souvent avec un nouveau regard — émotionnellement plus apaisé, cognitivement plus souple. Et c'est justement cette souplesse, cette plasticité de notre cerveau, qui rend le changement possible.

L'hypnose clinique s'inscrit ainsi dans la continuité des processus naturels de notre mémoire. Elle ne fait qu'utiliser, de façon éthique et contrôlée, des mécanismes déjà présents dans notre fonctionnement cognitif normal, en les orientant vers des objectifs thérapeutiques.

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